Decolonial Gestures or Doing it Wrong? Refaire le chemin. (vue de l'exposition).
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Decolonial Gestures or Doing it Wrong? Refaire le chemin.
Musée McCord (Montréal) 18 février au 29 mai 2016 Artist en résidence: Nadia Myre Dans Decolonial Gestures or Doing it Wrong? Refaire le chemin., Nadia Myre signe une exposition où la responsabilité inhérente au geste créateur, tant colonial qu’autochtone, est examinée à travers une approche matérialiste de l’histoire. L’artiste algonquine membre de la nation Kitigan Zibi Anishinabeg a été invitée à réactualiser sous un angle décolonial les objets de la collection autochtone du Musée McCord, composée de plus de 14 500 artéfacts, dans le cadre du programme d’artiste en résidence de l’institution. Myre aborde deux types de décontextualisation propre au colonialisme : l’appropriation des objets autochtones par les femmes bourgeoises à l’époque victorienne et le phénomène du musée ethnographique. Dans une perspective didactique, une des principales qualités de l’exposition est la visibilité du processus de recherche et de création entourant les objets. La méthodologie de recherche de l’exposition est ainsi mise en évidence pour que le visiteur refasse pas à pas avec l’artiste le chemin de sa réflexion où le geste créateur devient un vecteur de guérison identitaire. L’appropriation culturelle à l’époque victorienne Myre nous propose avant tout un fascinant voyage dans le temps en s’inspirant des ouvrages et périodiques féminins popularisés à l’époque victorienne (1837–1901) en Europe et aux États-Unis. S’adressant aux femmes de la classe bourgeoise, ceux-ci abordaient des sujets liés à la vie domestique. En cette période où les musées ethnographiques commençaient à faire leur apparition dans les grandes métropoles occidentales, le goût pour l’exotisme se mit aussi à transparaitre dans les publications destinées aux femmes. S’inspirant des tendances de l’époque, les éditeurs suggéraient ainsi aux dames de confectionner à partir de patrons de couture des décorations au style « autochtone », telles des ceintures, des paniers ou des mocassins. Le statut de ces objets, ayant une signification culturelle et une fonction utilitaire pour les différentes nations autochtones, fut ainsi recodé uniquement en termes esthétiques sous le geste des femmes victoriennes. Ces appropriations sont particulièrement bien documentées dans l’exposition où le visiteur peut observer différents types de livres ou journaux et des photographies de femmes victoriennes posant fièrement dans leurs salons décorés d’objets autochtones. Mentionnons aussi la présence de photographies d’époque d’Autochtones qui vendaient des objets artisanaux aux Occidentaux sur le bord des routes, témoignant ainsi de leur participation à ce phénomène de mode. Le processus de recherche : entre oralité et savoirs ancestraux Myre répond à ces appropriations par l’acte créateur : elle revisite à travers son propre héritage autochtone les modes d’emploi que les femmes victoriennes utilisaient il y a plus d’une centaine d’années. En suivant ces mêmes instructions, elle crée ainsi quatre objets qui suscitent la curiosité : un panier en forme de canot, un porte-brosse en soie rouge, des mocassins et une bourse. Traduisant une approche réflexive de la muséologie, cette exposition met en évidence comment le processus de recherche s’avère aussi important que les objets, les textes ou la scénographie. Particulièrement dans le domaine des études autochtones, le message de l’exposition doit être supporté par des activités de recherche menées par différents intervenants, tels les artistes ou les communautés. Le geste décolonial que pose Nadia Myre s’exprime donc tant dans les objets qu’elle crée que dans le processus de recherche ayant mené à cette proposition d’exposition. Une des forces du projet est justement la possibilité qui est donnée au visiteur de suivre le récit de la démarche artistique de Myre par une scénographie se découvrant par étapes. Dans le premier panneau explicatif, on peut d’abord observer différents types de publications pour dames et lire ces étranges modes d’emploi promettant aux femmes de la bourgeoisie de réaliser des objets de bon goût et originaux. Les deux panneaux suivants présentent cette fois-ci les véritables artéfacts autochtones dont s’inspiraient les modes d’emploi victoriens et les œuvres créées par Myre. Par exemple, on peut facilement mettre en relation un panier réalisé par les Salish du littoral (1865–1925) avec l’œuvre créée par Myre, un panier ayant la forme d’un canot décoré d’élégantes boucles bleues. Les œuvres de Myre mettent en relief comment les objets fabriqués par les femmes victoriennes perdaient leur symbolique culturelle et sociale. On l’entrevoit particulièrement dans un curieux porte-brosse en soie rouge s’inspirant d’une raquette atikamekw et d’une pochette murale mi’kmaq. Cette stratégie de déconstruction d’un acte colonial permet à l’artiste de redonner une portée symbolique à ces objets en posant un regard contemporain sur les savoirs autochtones ancestraux. En effet, l’artiste ne répète pas exactement la démarche des femmes victoriennes qui étudiaient des patrons de couture, préférant plutôt écouter des enregistrements vocaux des instructions. Si l’artiste s’est exprimée dans le passé sur « la blessure langagière »[1] qui marque les Autochtones de l’Amérique du Nord, cette exposition met cette fois-ci l’accent sur « […] la nécessité d’une décolonisation du savoir textuel ». L’enjeu de la reconnaissance et du respect de la culture orale est ainsi considéré comme un véritable fil conducteur permettant à l’artiste de recoudre petit à petit les points d’ancrage des savoirs autochtones. Mentionnons aussi que dans l’objectif de se mettre dans la peau des femmes victoriennes qui ignoraient la véritable signification des objets qu’elles réalisaient, Myre a demandé qu’on lui cache le nom de ces objets durant tout le processus de création. Le visiteur a d’ailleurs la possibilité d’écouter ces enregistrements des instructions dans lesquels le nom des objets est remplacé par un son de cloche. Le processus de fabrication est aussi décomposé pour l’œil du visiteur : les bouts de patrons de tissus et les fils témoignent des différentes étapes de la réalisation. Dans une optique similaire, sur le plancher au centre de l’exposition, la vidéo intitulée Acts that Fade Away (2016) met l’accent sur la complexité de la démarche qui a mené à la composition des objets. Grâce à un effet de miroir, on voit l’artiste qui tente de réaliser les objets, mais qui parfois aussi se trompe et doit recommencer son travail. La question dans le titre de l’exposition (doing it wrong?) définit-elle ainsi uniquement le travail d’appropriation des femmes victoriennes ou aussi le processus d’essai-erreur de l’artiste ? Il est important de signifier que depuis le début de sa carrière, Nadia Myre s’intéresse aux matérialités autochtones en expérimentant différentes techniques ancestrales. Si l’artiste est reconnue pour sa maîtrise du perlage dans des œuvres telles Indian Act (2002) ou The Journey of the Seventh Fire (2009), elle a dû apprendre pour cette exposition la broderie. Cette démarche autoréflexive où l’artiste se réapproprie des techniques du passé met ainsi en relief l’adaptabilité des savoirs autochtones comme stratégie de résurgence. En ancrant son mode d’apprentissage dans l’oralité et en misant sur la répétition des techniques autochtones, Myre retrace graduellement le chemin des gestes ancestraux de sa culture qui deviennent ainsi synonymes d’affirmation identitaire. Une muséologie réflexive et décoloniale La démarche de Myre soulève aussi différentes réflexions sur le rôle de l’institution muséale comme agent de décolonisation. Rappelons qu’historiquement, les musées ethnographiques ont déraciné les objets autochtones de leurs milieux naturels, contribuant ainsi à figer, dans l’imaginaire collectif, les communautés dans un passé révolu. Par ailleurs, si la restitution des objets autochtones aux communautés est un processus en évolution depuis les années 1990, les musées doivent continuer à s’interroger sur comment exposer des artéfacts autochtones sans s’inscrire dans des dynamiques néocoloniales. Penser au présent les objets autochtones du passé s’avère justement une stratégie pour redonner une agentivité sociale à des collections et ainsi commencer à contrer le phénomène de perte culturelle qui marque les communautés autochtones. L’historienne de l’art Ruth B. Philips explique dans cette perspective qu’une muséologie de type réflexive doit activement valoriser le rôle des institutions comme agents sociaux actifs par le développement d’expositions collaboratives avec les communautés autochtones[2]. Pour l’auteure, le musée se doit d’être un espace ouvert où différents conflits peuvent être identifiés et éventuellement être réfléchis à petite échelle. La collaboration alliant le McCord à Nadia Myre contribue ainsi à transformer le musée en un espace performatif permettant d’aborder différents types de décontextualisation coloniale en mettant l’accent sur la vision d’une artiste autochtone. En ouvrant ses collections aux interventions de Nadia Myre, le musée devient donc un lieu d’expérimentation où ses objets sont réactivés et évoluent selon des horizons nouveaux. Dans une perspective d’avenir, en exposant tant le processus d’appropriation des femmes victoriennes que les différentes étapes de sa démarche de recherche et de création, l’artiste propose une avenue intéressante en termes d’éducation dans le cadre des méthodologies de décolonisation muséale. Alexia Pinto Ferretti est doctorante en histoire de l’art à l’Université de Montréal. [1] Galerie Art Mûr, Baliser le territoire : manifestation d’art autochtone contemporain, http://artmur.com/expositions/expositions-passees/2012- expositions/baliser-le-territoire/ (Consulté le 20 juillet 2016). [2] Ruth B. Philips, « Toward a Dialogic Paradigm : New Models of Collaborative Curatorial Practice », repris dans Museum Pieces, Toward the Indigenization of Canadian Museums, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2011, p. 185–204. Vertical Divider
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